Les lundi 21 novembre et mardi 22 novembre la Philharmonie de Paris invitait l’orchestre Mariinski et son chef Valery Gergiev pour un programme tout Prokofiev, avec en particulier les cinq concertos pour piano. Je m’y suis rendu le lundi 21 où étaient joués les trois premiers concertos ainsi que des extraits de suites de Roméo et Juliette de Prokofiev.

Le programme donnait la belle part aux pianistes, qui sont des lauréats du concours Tchaïkovski, l’un des concours les plus prestigieux au monde. George Li, pianiste américain qui remporte le deuxième prix 2015, Denis Matsuev qui remporta l’édition 1998 et Alexander Malofeev qui remporta quant à lui le premier prix et la médaille d’or au concours Tchaïkovski pour les jeunes, en 2014.

Le premier concerto est d’une énergie explosive. Relativement court, il assit la réputation du compositeur qui fut aussi le créateur de l’oeuvre le 7 août 1912. Prokofiev reçut un prix pour ce concerto, au concours Anton Rubinstein en 1914. J’ai pratiquement redécouvert ce concerto, que je mettais un peu de côté face aux monuments que sont les deuxième et troisième. Ceci pour deux raisons :  le Mariinski et George Li ! Les intentions étaient à la fois claires et symbiotiques. Dans ces exceptionnelles conditions la structure de l’oeuvre, d’une grande précision, m’est apparue sous un jour nouveau. Le piano de Li est très coloré et solide rythmiquement, des atouts nécessaires dans ce concerto. Gergiev mène le tout d’une main de maître. Dès la première phrase du concerto, il était évident que la soirée allait être mémorable.

Elle le fut, et le deuxième concerto sous les doigts de Denis Matsuev n’y fut pas pour rien. Ce fut assurément le clou du spectacle. Je suis attiré comme un aimant vers les représentations de cette oeuvre hors norme, qu’il faut voir pour croire. Denis Matsuev fut à la hauteur. A la hauteur de l’un des concertos les plus (le plus ?) difficile du répertoire. Prokofiev le composa en 1913, soit un an après le précédent, et on est immédiatement frappé par la différence : dans la longueur d’abord (30 minutes en quatre mouvements, contre la moitié pour le précédent), le style d’écriture : motorique, sauvage, dense à l’extrême et à la structure : quatre mouvements distincts et très caractérisés. Le premier mouvement a la particularité d’offrir une cadence au soliste extrêmement chargée qui dure la moitié du mouvement. Elle fait office d’incantation transcendante pour le retour de l’orchestre tonitruant sur le thème qu’il ouvrit pizzicato pianissimo dans les premières mesures. Il fut presque impensable que Matsuev allait arriver à bout tellement il délivra d’énergie dans cette longue épopée. Il a comme tout donné, mais ce fut une goutte d’eau par rapport à ce qui l’attendait. Gergiev ne fut pas tendre sur les tempos, et comme jamais je n’aurais pu croire que ce fut possible dans cette oeuvre, j’ai trouvé les trois mouvements suivants légèrement trop rapide. Y compris le second qui est une fulgurante toccata (annoncé comme Scherzo). Le pianiste gère, et il faut beaucoup d’effort à Gergiev pour faire suivre l’orchestre. Dans le troisième mouvement, des thèmes martelés au piano contrastent avec des traits piano-orchestre plus fins dans un climat globalement orageux. Le dernier mouvement enfin alterne des effets stridents avec des longues mélodies lyriques sombres. Les seules presque du concerto, moins soignées que les mélodies du troisième concerto, mais tirées au plus profond de l’âme russe du compositeur.

C’est Alexander Malofeev qui ouvre la deuxième partie avec le troisième concerto. C’est le plus connu de Prokofiev, et à mon goût le plus équilibré et le plus raffiné, tant par les effets que par la structure. Il est à la rencontre parfaite du style inimitable de Prokofiev et de la forme concertante. C’est un chef d’oeuvre d’une rare perfection. Lorsque Malofeev entre sur scène, un souffle balaye la salle. Après le physique imposant de Matsuev le choc est réel : petit et chétif, d’une blondeur platine et surtout d’un âge apparent de 13 ans (il en a 15), Malofeev ne compte pas moins en découdre avec l’exigeante partition du troisième. Gergiev, que je vois pour la première fois, est d’une assurance telle que sa présence seule semble rassurer les musiciens. Pour les bis des pianistes précédents il se tient debout près du piano et regarde chaque touche s’enfoncer sous les doigts, sans rien rater. A la direction, il se tient de trois quart quart à gauche, comme veillant sur le pianiste (les violoncellistes, à droite, profitent moins…). Malofeev n’est pas encore à la hauteur, ni à l’âge rappelons-le, de ses prédécesseurs ce soir, et je regrette une exécution un peu dénué d’âme. Plutôt dans l’exécution à proprement parler que dans la prise de risque ou la prise de partie. C’est à vrai dire assez fréquent pour les très jeunes musiciens, il  n’en est pas moins qu’il fut impressionnant, et le public ne se trompa sur son talent ne pouvant retenir les applaudissements avant que ne résonne le dernier accord.

Pour finir, Gergiev donna donc un florilège de pièces de Roméo et Juliette. Ce fut l’occasion de profiter de cet orchestre merveilleux, d’une sonorité pleine et assurée, dans les tutti comme dans les parties solistes. Le répertoire leur sied à merveille, et rien ne m’a paru légitime à une critique, même mineure. La perfection. Gergiev et le Mariinski nous régalent une dernière fois avec le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, en rappel, comme un remerciement en français dans le texte à un public chaleureux, comme toujours ici. La soirée fut particulièrement bien remplie il faut dire, et l’orchestre ainsi que le chef russe n’ont pas démenti leur réputation internationale.

Photo: N.Razina / State Academic Mariinsky Theatre

Vous pouvez également aimer :

1 commentaire

  1. Merci pour cette chronique très visuelle, comme si on y était!
    Extraordinaire programme en effet, avec l’envoûtant 2ème concerto

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :