C’est enfin Yuja Wang que je vais voir, pour mon dernier concert de la saison à la Philharmonie de Paris. C’est une pianiste que je suis depuis ses débuts, sans jamais l’avoir entendue, même en ayant passé des semaines au festival de la Roque d’Anthéron où elle se produit souvent.
Le programme a changé entre l’achat de mes billets et le concert de ce mercredi 15 juin au soir. Le programme était le suivant :
Johannes Brahms
Ballades op. 10 n° 1 et 2
Robert Schumann
Kreisleriana
Ludwig van Beethoven
Sonate n°29 Op.106 « Hammerklavier »
J’avoue avoir été déçu de ne pas entendre sa deuxième suite anglaise de Bach initialement prévue… Mais, toutefois, quel concert ! Yuja Wang ne lâche rien et se donne corps (à peine dissimulé sous une robe) et âme dans ce programme, dont évidemment le plat de consistance est cette impossible Hammerklavier. Ses mouvements lents se caractérisent par un timbre voilé, dans une harmonie flottante, une musique complètement évanescente. Cette atmosphère sied bien aux deux ballades de Brahms, et elle obtient un silence angélique dans la grande salle. Ce choix est moins à propos dans un Schumann qui demande au maintien d’une tension à tous les instants, où aller de l’avant devient une nécessité. Cette dissolution de la ligne mélodique au profit d’une atmosphère harmonique effondre parfois la structure…
La Hammerklavier, sonate de toutes les sonates, mont inaccessible pour tout esprit censé, injouable de ses contemporains, cette « symphonie du piano » ne peut être approchée qu’avec un mélange infini de précaution, de respect… et de passion. Yuja Wang nous a fait une démonstration non pas de virtuosité (attendons les bis), d’endurance ou de contraste… mais de musique. Les plus exigeants pourront reprocher un style éloigné du maître de Vienne. Mais je crois que l’intention qu’a voulu donné Beethoven à cette sonate, alors qu’il était totalement atteint de surdité, est en accord à ce que Wang nous a donné. Car si le monument brille par des proportions démesurées (45 minutes de musique quand même ! un mouvement lent de 20 minutes…) c’est le contraste et la détermination qu’elle a extrait de l’oeuvre. Dans une impeccable justesse, faut-il le préciser.
Visiblement fatiguée par un tel programme, il fallait ne pas connaître la pianiste chinoise pour se rhabiller et tenter d’atteindre la sortie de la salle tout de suite. Cinq bis nous ont été offerts ! On retrouve là les pêchés mignons de la pianiste, un concert (de 20 minutes :)) dans le concert :
1. Schubert (Liszt) Gretchen am Spinnrade (Piano transcription)
2. Gluck (Yuja Wang) Orfeo ed Euridice : Melody
3. Bizet (Horowitz) Variations on a theme of Carmen
4. Mozart (Yuja Wang) Variations on the Turkish March
5. Chopin Waltz No. 8 in C sharp Minor, Op. 64 No. 2
On y trouve là ses préférences, des thèmes connus revisités par ses pairs (Mozart, Bizet), transcrits (Schubert, Gluck par elle-même) ou non (Chopin). On se délecte de sa virtuosité la plus extrême (qui la surpasse véritablement sur la scène actuelle ?) dans une justesse la plus absolue et des intentions à propos. Rires audibles face à ces « blagues musicales » et tant de prouesses.
De ce concert de Yuja Wang, on ne pourra différencier la musique du spectacle, et c’est bien ainsi.
Elle donna ses bis le 14 mai (vraisemblalement) à Carnegie Hall, dans un ordre un peu différent. Voir ces bis en vidéo (Carnegie Hall) :
https://www.youtube.com/watch?v=DCF8D8l5Bxw