J’ai écrit Sur la route en trois semaines pendant le joli mois de mai 1951 alors que je vivas dans le quartier de Chelsea au sud-ouest de Manhattan, sur un rouleau de 30 mètres et j’ai mis là en mots la Beat Generation, disant au point où j’en étais, en plein milieu d’une fête dingue entre potaches dans une cabane de mineur abandonnée : « Les gamins sont épatants ici, mais où sont Dean Moriarty et Carlo Marx ? Oh bon, j’imagine qu’ils ne feraient pas partie de la bande, ils sont trop sombres, trop étranges, trop souterrains et je suis en train de rejoindre lentement une nouvelle sorte de beat generation. »
Le manuscrit de la Route fut rejeté au motif qu’il déplairait au directeur des ventes de ma maison d’édition de l’époque, bien que mon éditeur, un homme très intelligent, ait dit : « Jack, c’est comme du Dostoïevski, mais qu’est-ce que je peux en faire en ce moment ? » C’était trop tôt. Donc pendant les six années suivantes j’ai été clochard, serre-frein, marin, mendiant, pseudo-Indien au Mexique, tout et n’importe quoi, et j’ai continué à écrire parce que mon héros était Goethe et que je croyais à l’art et que j’espérais un jour écrire la troisième partie de Faust, ce que j’ai fait dans Docteur Sax. Puis, en 1952, le supplément du dimanche du New York Times publia un article disant, en titre : » Voilà la Beat Generation » (entre guillemets comme ça) et dans l’article il était dit que j’avais trouvé l’expression le premier « quand le visage était encore difficile à reconnaître », le visage de la génération. Après ça on parla un peu de la Beat Generation mais en 1955 j’ai publié un extrait de la Route (en le mélangeant à certaines parties de Visions de Neal) sous le pseudonyme de « Jean-Louis », avec pour titre Jazz de la Beat Generation et le copyright mentionnait le titre d’un roman en cours intitulé Beat Generation (que j’ai ensuite changé en Sur la route à la demande pressante de mon nouvel éditeur) et doncf l’expression s’est mise à circuler un peu plus vite. L’expression et les mecs. Partout des mecs étranges et même des gamins de la fac se mirent à jouer les mecs cool et à reprendre les expressions que j’avais entendues à Times Square au début des années 40, c’était en train de se développer. Mais quand les éditeurs osèrent finalement et que Sur la route fut publié en 1957, ce fut l’explosion, le champignon atomique, tout le monde se mit à crier qu’il y avait une Beat Generation. On m’interviewait partout où j’allais pour savoir « ce que je voulais dire » par là. Les gens commencèrent à se baptiser beatniks, beats, jazzniks, bopniks, bugniks et finalement je fus appelé l’ « avatar » de tout cela.
Jack Kerouac dans Vraies blondes et autres.