Quand on va voir une soirée dédiée à Stockhausen, on ne sait pas trop dans quel état on va ressortir. En particulier quand la soirée dure plus de trois heures. Au programme de la première partie, les onze Klavierstücke, pour piano seul, de Karlheinz Stockhausen. Une grande partie du travail du compositeur, tout au long de sa carrière, s’est concentré sur des œuvres électroniques, de spatialisation, avec des dimensions démesurées à l’image de son cycle de sept opéras, Licht, d’une durée totale de 29 heures. Dans un espace aussi restreint que le piano seul, on en vient à se demander ce qu’il venait y chercher.
La réponse est à la fois simple et complexe. Simple car il a simplement abordé l’instrument comme l’ont fait ses contemporains : des modes de jeux nouveaux, des effets d’écritures, l’utilisations des paramètres musicaux poussés dans leurs extrêmes, résultant dans une extrême difficulté d’exécution et le spectaculaire, sans en être la finalité. Plus complexe, car là où on aurait pu s’attendre à voir apparaître des éléments extérieurs au piano (électronique, piano préparé, bruits, …), mais il n’en est rien. La touche qui s’enfonce pour faire un son reste l’ingrédient unique de ces onze pièces.
L’effet sur un organisme vivant après une semaine de travail est sans appel : je suis happé par l’incroyable usage du piano, et lessivé. Impossible d’être insensible à l’accumulation permanente de dissonances et d’imprévisibilité (apparente) de chaque note, chaque cluster, chaque nuance, chaque effet, comme posé aléatoirement sur une partition où les notes sont mélangées à un tas d’autres paramètres. Composées par parties mais plutôt au début de sa carrière, les pièces sont ici jouées dans l’ordre où il les a composé. Les numéros ne se suivent pas.
Pour tout vous dire, c’était fatigant. Mon double jugement est un paradoxe à l’image de cette musique : génial et insupportable. Néanmoins, pas une seule fois je n’ai pu décrocher mes yeux et mes oreilles de la scène, ou j’avais une vue plongeante sur les mains du pianiste (spéciale dédicace à sa tourneuse de page qui a dû bien dormir aussi). Cette oeuvre est tout simplement injouable par son extrême complexité. Avoir sur les yeux un démenti indiscutable se vit comme un mystère. La longueur des onze pièces jouées à la suite (ce qui doit être un évènement rare) nous laisse dans un état second en particulier quand la numéro X est joué en dernier : très longue, spectaculaire, et qui se termine dans un pianissimo cosmique.
Venir écouter cette musique en direct est une nécessité. Il me serait impossible de les écouter en CD ou sur Internet tant le degré de concentration requis est incompatible (dans mon cas) avec ces modes de consommation. Mon état de fatigue ne m’a pas permis d’assister à la deuxième partie du concert (ou au deuxième concert devrait-on dire), où il jouait Mantra pour deux pianos augmentés acoustiquement.
Ressources intéressantes
Un extrait de la partition du Klavierstuck X, ou pour exécuter les glissandi permanents dans l’oeuvre le pianiste s’équipe de mitaines (un « mode d’emploi » est donné au début de chaque oeuvre pour expliquer les symboles ajoutés / inventés par le compositeur). Ce numéro contient un grand nombre de gros clusters également, joués sur les avants bras. Sur cet extrait on voit les clusters à gauche et des glissandi au milieu et à droite.
Ce Klavierstuck ainsi que tous les autres sont enregistrés par Maurizio Pollini. Voici la vidéo du X :
Cette même pièce avec suivi de partition (bon courage. Imaginez-vous tourneur de page) :
Cette vidéo du IX (avec les accords longuements répétés du début, de quadruple fortissimo à quadruple pianissimo) avec la partition :
Et enfin ce blog, qui contient une analyse oeuvre par oeuvre des oeuvres de Stockhausen. Une source géniale (voir le menu à droite pour les Klavierstücke un par un).
Dans le Klavierstuck VI, le blog nous fait part de cet extrait, où apparaît une portée de tempo. Plus la courbe monte, plus le passage doit être joué rapidement.