Il ne faut pas attendre longtemps pour se rendre compte que Vestard Shimkus a un rapport charnel avec son clavier. Je l’ai entendu vendredi dernier, à la salle Cortot, dans un programme bicéphale, très original. Je connaissais le pianiste au disque, dans Soler chez Naxos et Rachmaninov chez Artalinna. On y retrouve son jeu franc et son sens de la musicalité, à la fois inné et très personnel, ce qui est une denrée rare.
Lorsque je rentre dans la salle Cortot, je constate qu’une délégation lettonne occupe les lieux. Et pour cause : la Lettonie, pays d’origine de Vestard Shimkus, préside l’Union Européenne ces six premiers mois. « Nous vous amenons notre meilleur pianiste » déclarait une ambassadrice (?), avant l’arrivée du pianiste sur scène.
La première partie présentait les neuf préludes de choral pour orgue de Jean-Sébastien Bach, arrangés par Feruccio Busoni. Les préludes sont variés dans leurs arrangements, certains très virtuoses, d’autres très lents et profonds. C’est d’ailleurs dans ces derniers que le pianiste semblait moins inspiré. Sans sacrifier la musicalité induite dans ces pièces, la conduite de la structure et la profondeur harmonique me semblaient parfois en deçà du potentiel de Shimkus.
Vestard Shimkus a proposé en deuxième partie neuf études pour piano, Dreamscapes, de sa propre composition. Ces pièces révèlent un aspect particulièrement intéressant de l’artiste : sa créativité fulgurante. Le piano est maîtrisé sur le plan technique, ce qui lui permet de réaliser les multiples effets, pour certains très modernes, qu’il déploie dans ces neuf études. Car au coeur de cette création (jouée pour la première fois en France l’an dernier) se trouve une recherche – « étude » – sur la sonorité et sur le rythme en particulier. Certaines études tirent vers le jazz ou l’improvisation, que Shimkus pratique par ailleurs, d’autres sur des effets post-lisztiens qui sonnent à merveille dans cette salle taillée pour le piano.
Cette deuxième partie témoigne de la grande originalité qui pénètre ce pianiste : dans l’écriture et le pianisme, mais aussi, et surtout, son approche de l’art du piano. La conjugaison de ses énormes talents (pianiste classique, jazz, improvisateur, compositeur) avec un programme simple et original place cet artiste dans les personnalités à suivre du moment, et surtout à soutenir. Les éternels chopinistes (plus ou moins bons) et autres romantiques faciles devraient s’inspirer de ce cadeau venu des pays baltes.