Les histoires de survie et de naufrage ont leur dose d’aventure et d’imaginaire. J’aimerais faire part ici de trois histoires de naufragés dont j’ai lu des récits ces récemment et qui valent sinon d’être lus d’être connus. Je les présente dans l’ordre chronologique de mes découvertes.
Naufragé volontaire
Alain Bombard est un scientifique qui prit pour sujet de thèse les conditions de survie de naufragés. Il dirigea à cette fin un laboratoire à Monaco, et en plus du travail sur l’impact du moral sur le physique (et donc la survie en général), il soutient la thèse que le bateau pneumatique est un moyen plus sûr que les chaloupes traditionnelles. Si les navires en été équipés, alors ils réduiraient considérablement les victimes lors de naufrages. Le 25 mai 1952, avec un ami Jack Palmer, il se fait naufrage volontaire à bord d’un petit Zodiac pneumatique, du nom de l’Hérétique, et se laisse porter à la dérive au large de Monaco. Après 18 jours en mer, ils accostent aux Baléares et se font remorquer à Tanger. Mais ses détracteurs s’en donnent à cœur joie : comme ils n’avaient pêché que deux mérous, un cargo a dû se dérouter pour fournir un ravitaillement d’urgence aux deux marins écœurés du plancton. Loin d’avoir convaincu la communauté scientifique de la supériorité du pneumatique, il prolonge son exploit, le 13 août 1952, où il reprend la mer, seule cette fois, pour se laisser porter à la dérive pour une traversée de l’Atlantique. L’Hérétique est un Zodiac de 4,65 mètres de long, bâché, gréé d’une voile d’Optimist et avec de rares équipements, dont un sextant, un filet à plancton, des cartes et quelques livres. Bombard perd beaucoup de forces, et fait des erreurs de mesures qui lui firent croire qu’il était plus proche de la côte et impactent son moral. Il croise un navire commercial, l’Arakaka, sur lequel il monte à bord et se fait servir un repas. Sauvé, il anticipe les critiques de ses détracteurs, et de manière totalement incongrue (en particulier pour le capitaine de l’Arakaka), il reprend place à bord de son Zodiac et continue de se laisser porter, cette fois connaissant sa position. Les dernières semaines seront très dures mais il finira par toucher terre à la Barbade le 23 décembre 1952 après 113 jours de mer. Il est dans un état de santé déplorable : souffrant d’anémie et ayant perdu 25 kilos, il doit être hospitalisé.
La lecture de son livre, Naufragé Volontaire (extraits consultables ici) donne la pleine conscience de cette aventure hors du commun. Le livre est aussi une sorte de guide de survie (à replacer dans son contexte…) où il évoque naturellement la faim, la soif, la condition physique en général, le matériel, le positionnement, et l’atterrissage, partie à ne pas négliger ! Bombard fut vivement critiqué, et certains confrères ne l’ont pas pris au sérieux l’accusant même de tricherie. Il fallut qu’il double son expérience d’un grand sens de la persuasion durant des années, pour que sa thèse du « mou contre le dur » l’emporte. En 1972, L’Angevinière, entreprise dont l’activité principale est la transformation des matériaux souples collabore avec Alain Bombard pour développer des radeaux de sauvetage pneumatiques à gonflage instantané qui seront appelés des « Bombards ».
En plus de la page Wikipedia, ce documentaire de 53 minutes est un bon moyen d’en apprendre plus sur Alain Bombard.
L’île Tromelin
L’île Tromelin est une île française (revendiquée par Maurice) qui se trouve dans l’océan indien, au large du nord de Madagascar. Plus qu’une île, c’est en fait un îlot, qui fût longtemps appelé « banc de sable », autrement dit une menace invisible pour les navigateurs du XVIIIème siècle. L’épisode tragique qui s’y déroula est à peine imaginable aujourd’hui. Dans la nuit du 31 juillet 1761 au 1er août 1761, L’Utile, frégate de la Compagnie française des Indes orientales fait naufrage sur les récifs coralliens de l’île. Le navire possède en soute 160 malgaches, esclaves en transit illégal depuis l’interdiction récente du gouverneur de la région. L’équipage survécu en grande partie (122 hommes), ainsi que soixante esclaves. Le capitaine devint bizarrement fou et fût remplacé par son second sur terre : Castellan. Une vie précaire s’organisa, et fut possible grâce à la découverte d’un puits. Les esclaves et les marins ne vivaient pas ensemble, chose impossible, mais Castellan fit contruire un grand radeau qui put ramener à Madagascar l’intégralité de l’équipage. Les esclaves, qui vraisemblablement aidèrent à la construction du radeau ne furent pas admis, faute de place, mais Castellan leur promit ferme qu’il reviendrait les chercher, coûte que coûte. Il ne pu tenir sa promesse… Le matériel lui fit défaut, ainsi que les autorisations pour atteindre l’îlot qui ne furent jamais données, sans compter la faible probabilité que les esclaves puissent survivre dans un milieu aussi hostile, en particulier après la saison des ouragans. Las, Castellan revint en France abandonnant les esclaves.
Si l’histoire paraît déjà à peine vraisemblable, attendez la suite ! En 1773, douze ans plus tard, un navire passe au large du banc de sable, et aperçoit les esclaves. Un bateau est envoyé mais ce premier sauvetage échoue, le navire n’arrivant pas à s’approcher de l’île. Un an plus tard, un second navire, La Sauterelle, ne fait guère mieux. Il réussit néanmoins à mettre une chaloupe à la mer et un marin parvient à rejoindre les naufragés à la nage, mais il doit être, lui aussi, abandonné par ses camarades qui ne peuvent accoster à cause de l’état de la mer et le navire doit quitter les parages de l’île. A l’image de Castellan, il construit un radeau et tente de s’échapper, emmenant avec lui trois hommes (les trois derniers esclaves hommes) et trois femmes. Ils disparurent à jamais. On peut imaginer leur embarcation particulièrement précaire, au vu du dépouillement total de l’île, et de l’absence de matériau de l’Utile qu’avait largement utilisé Castellan. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, récupère les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois. Il décrit l’île en détail, et elle portera désormais son nom.
Irène Frain a écrit un roman assez crédible de cette histoire : Les naufragés de Tromelin et une bande dessinée a également vu le jour. Une expédition archéologique a eut lieu en 2006. Malgré les sommaires constructions humaines d’aujourd’hui (des postes de mesures météo, une piste d’atterrissage qui occupe presque toute la longueur de l’île…) des objets et des constructions des rescapés furent mis au jour. L’article Wikipedia résume bien cette histoire, mais c’est bien cette page de histoiresenbulles qui donne le plus de détails avec le voyage de l’Utile étape par étape depuis Bayonne ainsi que des extraits entiers de la bande dessinée.
Récit d’un naufragé
Cette histoire a tout d’une aventure moderne, mêlant accident maritime, survie, mensonge, politique et célébrité. Le navire de guerre Caldas reliait en 1955 la ville de Mobile en Alabama à celle de Carthagène, son pays d’origine. C’est également le pays d’origine de Luis Alejandro Velasco, seul survivant des huit hommes qui passèrent par-dessus bord lors d’une tempête dans le golfe des caraïbes. Amarré à un radeau, il survécu 10 jours sans boire et sans manger (ou presque) accompagné de requins et d’espoirs portés par d’indifférents avions, navires, mouettes et poissons. L’histoire nous apprend qu’il n’y a eu nulle tempête, mais une forte houle, et que la cause partielle de la catastrophe fut le décrochage de matériel de contrebande (de l’électroménager) amarré hâtivement sur le pont. Pour un navire de guerre, ça la fout mal ! Et on l’apprit par un récit détaillé, en quatorze articles parus dans El Espectador, suite à une longue série d’entrevues menées par nul autre que le journaliste (d’alors) Gabriel Garcia Marquez. Il est rare d’avoir un récit d’aussi bonne qualité pour la description d’un naufragé à la dérive, et ce fait seul marque selon moi un intérêt à lire ce texte. Le tour de force de Marquez est ici de signer à la fois un récit d’aventure et une rubrique journalistique. On est ici plongé dans un fait au plus près de la vérité, qui causa des ennuis à son auteur, contraint de s’exiler peu après, accompagné d’une fermeture du journal. Le livre est édité en français chez Grasset.
Contente que l’article sur Les naufragés de Tromelin vous ait plu. J’espère qu’il a pu vous faire découvrir cet évènement et ses conséquences qui m’ont moi aussi passionnée.