Le contexte nous empêche de voyager, mais pas de se souvenir de nos voyages, ni de les raconter ! Et voici une histoire que je n’ai encore jusqu’à ce jour jamais raconté. Elle se déroule dans l’extrême sud de l’Argentine, en mars 2011, lors d’un voyage de quatre mois à travers tout le pays.
Il est tôt le matin lorsque Hugo et son acolyte Hector viennent nous chercher au camping de Rio Gallegos, capitale de la province du Santa Cruz où nous résidons depuis deux semaines. Notre voyage en bus nous a déjà éloigné de plus de 2600 kilomètres de Buenos Aires, et nous commençons à trouver le temps long dans cette grande ville, dont l’intérêt principal semble d’être le point de départ pour la Terre de Feu et la ville d’Ushuaïa.
Si nous restons plus longtemps que les quelques heures habituelles des voyageurs en transit, c’est que nous sommes en train d’y acheter une voiture pour poursuivre notre voyage dans le pays. Entre les visites et la bureaucratie proverbiale, nous allons et venons au camping, fort éloigné du centre par ailleurs. Rester dans des coins reculés est aussi une volonté de notre voyage, car il nous permet d’apprécier la « vraie vie » et de faire quelques rencontres. C’est ainsi que nous avons rencontré Hugo, donc, et son ami Hector. A force de nous voir stagner au camping, ils nous ont proposé généreusement de nous emmener à une partie de pêche. Ils n’ont pas eu à beaucoup insister !
Les terrains de camping sont des lieux de vie pour les argentins, partout dans le pays, où le week-end ils viennent cérémonieusement préparer un gros morceau de viande (vraiment gros…) pour le déguster en bonne compagnie. Les cuisiniers du jour viennent volontiers se sacrifier plusieurs heures avant le repas pour préparer la viande. De cette habitude, nous étions souvent aux premières loges. Et nous l’avons adoptée, cela va de soi, dans un pays qui peut légitimement se targuer d’avoir l’une des meilleurs viandes au monde. Et le vin qui l’accompagne est à la hauteur.
Le cap des Vierges se trouve à plus de 100km de la ville, que nous parcourons confortablement dans le pick-up. Toute la route n’est pas pavée, et elle est très peu empruntée. En fait, elle fait partie désormais de la fameuse route 40, qui traverse le pays du nord au sud. Celle-là même que nous parcourrons en voiture les mois suivants ! Le cap des Vierges est un cap naturel, complètement désolé, balayé par le vent froid comme tout le reste de la Patagonie, et embrumée de cette odeur d’iode et de sel qu’apprécient les petit pingouins de Magellan. Ils semblent toujours de bonne humeur. Ici, il ne sont pas entourée d’une petite passerelle qui permet aux humains de les observer. Ils sont juste chez eux. Et le passage d’humain est si rare ici que c’est plutôt eux qu’ils nous observent.
De Magellan il est question, puisqu’il découvrit ici le passage vers le Pacifique qu’il recherchait tant. Il pénétrera dans le canal à bout de ressources, au bord de la famine, avant de se restaurer dans la bien-nommée (par lui-même) baie des sardines à la sortie de ce passage. L’entrée du canal naturel se trouve donc ici-même. S’imaginer les caravelles surgir ici pour ce qui deviendra le premier tour du monde fait de ce lieu un lieu magique pour tout voyageur.
En fait un petit groupe de Jésuites, avec quelques bêtes, s’installa ici en vue de démarrer une mission. Elle échoua et l’on supposa qu’ils moururent tous. En étant sur place, on ne pose pas vraiment la question de ce drame. On se demande plutôt pourquoi ils ont débarqués ici…
En fait, il n’y a pas strictement rien ici. Il y a un phare, construit en 1904. Et même deux phares : l’un en Argentine et l’autre au Chili. Ils se ressemblent beaucoup, à la différence que celui du Chili est gardé par un personnel de l’armée chilienne. D’ailleurs nous allons lui rendre visite car Hugo le connaît. Nous enjambons alors ce qui fut jadis une barrière et visitons le phare tout en saluant le chilien. J’oublie souvent cette aventure dans l’aventure, qui est en vérité la seule et unique fois que je mis les pieds au Chili. Notre projet plus tard de rouler sur la Carretera Austral a avorté.
Faut-il le préciser, à ce stade, les deux jeunes voyageurs que nous sommes restons éberlués. Cette virée de pêche est une opportunité dont nous apprécions chaque seconde, l’excitation laissant sans cesse place à la surprise et inversement. Nous n’en avons jamais tant vu en si peu de temps. Et la pêche n’a pas encore commencé !
Hugo et Hector nous avertirent, comme pour nous rassurer, qu’il était fréquent de ne rien prendre, ou si peu. Il se trompa : la pêche fut miraculeuse ! Nous primes 31 poissons en heure, dans une joie collective et un ahurissement général. Même eux n’avaient jamais vu autant de poissons extraits de ce canal. Au barbecue du midi, ou nous nous régalions de ces Robalos. Cependant, Hector (excellent cuisinier comme nous le découvrirons de la meilleure manière) sort du pick-up… de la viande ! Le mélange poisson-viande est un plat fort apprécié, et aussi un palliatif aux pêches médiocres… Lui-même s’esclaffa bien de cette précaution inutile ce jour-là !
A la fin de la journée, comme si la nature tout entière essayait encore de nous convaincre de l’unicité de ce pays, une baleine qui passait par ici nous salua de quelques ondulations à la surface. Magique.
De telles aventures ne s’oublient pas. En remerciement de cette merveilleuse journée, je dessinais à Hector le phare tel que nous le vîmes. Il apprécia le cadeau, qu’il enrichit d’un poème d’un ami, et alla l’accrocher dans le phare. A ce jour, je crois qu’il s’y trouve encore.
Si vous vous rendez un jour à ce « phare du bout du monde », ne manquez pas de le visiter, de chercher le dessin et le poème, et peut-être de tremper une ligne dans cette eau poissonneuse.
Bonne idée quand on ne peut pas voyager ! On ne voit pas le poème. Il est de toi ?