J’ai eu l’occasion et la chance au mois de juin dernier de partir plus de deux semaines en bateau pour relier Toulon à Palma, sur l’île de Majorque aux Baléares. Comme tout le monde n’a pas forcément la chance de vivre ça de l’intérieur, je m’en vais vous raconter un peu.

Mon père a préparé son bateau (c’est un bateau à moteur) pour l’occasion, et mon frère nous a rejoint sur une partie de l’aventure. Une épopée familiale, en quelque sorte.

Une randonnée sur l’eau

Moi qui aime beaucoup faire de la randonnée à vélo, j’y ai trouvé une philosophie semblable. En bateau on va de port en crique et de crique en port pour y passer la nuit. La journée consiste à rallier ces points qu’on a prévu plus ou moins à l’avance. Les conditions météorologiques, le matériel (et la situation de la crise sanitaire) empêchent de planifier trop à l’avance et nécessitent des ré-ajustements quotidiens. Tout ceci est exactement pareil en randonnée vélo, remplacez crique par camping sauvage (j’en suis peu adepte) et port par camping.

Si j’ai déjà navigué et connaît l’univers de la mer, faire une croisière de plusieurs est vraiment une nouveauté pour moi ! J’ai ainsi découvert, grâce à mon père, cet univers insolite.

Que fait-on quand on est à bord ? Il y a un peu un fantasme du pilotage pour ceux qui ne le pratiquent pas. En bateau, il ne faut pas y voir tant d’excitation, en particulier parce que c’est du temps long ! Entre le moment où on voit la ville, la côte, et le moment où l’on y rentre, il peut se passer une heure. Les mauvaises langues peu habituées diront : « ah mais y’a rien à faire en fait ». C’est pas faux, mais c’est pas vrai. Comme le dit mon instructeur d’avion, un atterrissage réussi résulte d’une préparation et d’une approche réussi.

Les mauvaises langues peu habituées diront : « ah mais y’a rien à faire en fait ». C’est pas faux, mais c’est pas vrai

Il y a toujours des choses à voir. Ainsi, une journée, j’ai vu un dauphin nager avec nous, un énorme cargo nous croiser et une tortue nager à la surface. En revanche la navigation a duré 17h, donc quand on est dedans il est presque égal de dire qu’il ne s’est rien passé !

Comment s’est-on préparé au quotidien ?

  • Vérifier la météo, très souvent, pour voir l’évolution du vent, et des vagues. Il y a des modèles de prédiction pour les vagues mais ils ne sont pas très fiables. On les vérifie sur Windy.
  • Confirmer la prochaine étape à atteindre, et dans le cas d’un port appeler pour savoir s’il y a de la place pour nous et à quel prix. Une application mobile aide bien, Navily, avec des commentaires clients. Dans certains cas (passage de frontières en tant de Covid), il convient de connaître les mesures en place à l’avance… On repère aussi les ports sur le chemins, au cas où la météo change ou qu’on change d’avis.
  • Préparer la route. Grâce à notre GPS de bord, on peut charger une route et la suivre. C’est très pratique car la vue seule en navigation ne permet pas de prendre les routes optimales. « Longer la côte » est facile, mais ce n’est pas forcément approprié. En préparant la route, on anticipe aussi les lieux à éviter marqués sur la carte, comme des zones interdites, ou des zones où potentiellement il y aura beaucoup de trafic, comme les « rails » d’entrée de port pour les cargos.
  • Contrôler le parcours global. Dans le cas d’une longue croisière, il faut vérifier grossièrement que les changements de décision du moment n’ont pas trop d’impact sur le trajet. Si on reste deux nuits au même endroit (parce que ça nous plaît par exemple), comment peut-on réajuster la suite.

Il n’y a rien de compliqué, et si chaque étape peut paraître facultative, au bout de quelques jours tous les navigateurs amateurs font ça. Cela rend la navigation plus sûr et plus agréable.

Escale au port de Cannet-en-Roussillon

Journée type

Hormis la préparation, voici à quoi ressemblait la croisière au jour le jour.

  • On exécute la checklist du départ ! Quelques points moteurs à vérifier, préparer le bateau avant de naviguer, bien tout mettre à sa place en particulier les gilets de sauvetage au cas où. Ca va vite, mais il y quand même beaucoup à vérifier !
  • On allume le moteur. Avant de se décrocher du ponton bien sûr, au cas où il ne démarre pas ! On attend un peu pour être sûr qu’il tourne bien. Le moteur est LA pièce maîtresse d’un bateau… à moteur 🙂 Impossible de s’en occuper à la dilettante. Le capitaine du bord est aussi le mécano en chef ! Le moteur a tourné vraiment au poil pendant tout le séjour !
  • On quitte le port. A ce stade on connaît déjà les lieux, donc ce n’est pas le plus difficile. Une carte du port, et le GPS, nous aident à sortir au bon endroit lorsque le port est énorme ! (comme à Barcelone).
  • A la sortie du port, on commence à suivre notre route sur le GPS. Il faut être vigilant autour des ports, car il y a toujours du trafic, même très tôt le matin avec les pêcheurs.
  • On enclenche l’auto-pilote, qui garde un cap. Il faut le réajuster régulièrement car le cap n’est pas la même chose que la route. En effet, le vent, les courants etc. peuvent nous dévier de la route. Par contre ne pas avoir à tenir la barre en permanence nous libère beaucoup l’esprit.
  • Pendant la route, on observe continuellement ce qui se passe :
    • des drapeaux sur l’eau indiquent des filets statiques posés par des pêcheurs, on les évite ainsi que divers objets plus ou moins gros (des déchets ou des branchages), pour ne pas abîmer le bateau ou l’hélice ;
    • on surveille les bateaux aux alentours, plus ou moins proches. Il n’est jamais évident de savoir si les routes convergent, et il est tout à fait possible que personne ne tienne la barre à leur bord ! Il y a des règles de navigation bien sûr(priorité à droite), mais si un cargo de 300m se pointe à gauche, il a la priorité quand même 🙂 Et les distances sont trompeuses, il arrive qu’un jour le bateau « tout là-bas » soit en fait assez près, en fonction de la visibilité.
    • on écoute la radio. C’est une VHF, donc on entend les communications alentours. On se place sur le canal 16 qui est le canal d’urgence, pour écouter d’éventuels bateaux en difficulté ou des instructions.
    • on cherche des animaux ! souvent, ce qu’on croyait être une tortue de mer à carapace mouchetée est en fait un sac plastique Casino. Super…
  • A l’approche du port, on prépare toutes les informations qu’on peut avoir sur la carte pour savoir à quoi s’attendre et par où arriver. On cherche les bouées vertes et rouges qui indiquent le canal d’entrée au port, et nous protège des hauts fonds notamment.
  • On appelle la radio (canal 9) où on téléphone au port pour savoir où se mettre. Ce n’est jamais facile car en général on voit notre place au dernier moment, ce qui rend la manœuvre plus compliquée.
  • On s’amarre, avec l’aide du personnel du port dans certains cas (on lui jette un corde quoi)
  • Une fois bien amarré, on coupe le moteur et on nettoie / range pour ne pas à avoir à tout faire plus tard ou le lendemain matin (surtout si on part tôt).

Dans le cas d’une crique, il faut trouver un bon emplacement pour ancrer, ce qui n’est pas facile car il faut prendre en compte la hauteur du fond, le type de fond, la distance à la côte et la protection au vent.

Dès lors, on a la soirée ou le reste de la journée pour profiter du lieu !

D’autres bateaux, comme nous, aiment profiter des criques. En juin il y avait de la place, mais en juillet-août on sait que les places valent cher !

La traversée

L’étape qui nous a relié de Barcelone a l’île de Majorque était évidemment particulière, puisque pour une fois nous ne longions pas la côte ! Nous apprécions avoir préparer notre route, car si elle est très simple (une ligne droite), elle n’en reste pas moins très utile, le faire « au cap » aurait généré beaucoup d’imprécision. C’est aussi une étape où l’on est coupé du monde, puisque les communications ne passent plus, à part la VHF pour les bateaux autour de nous où les puissantes émettrices des secours en mer (Barcelone et Palma).

Au milieu de la mer des Baléares (panoramique un peu branlant je vous l’accorde. En vrai, l’horizon est bien plat !)

Une sensation d’aventure domine

Je pensais qu’on ne verrai plus les côtes, mais on les distinguaient toujours, de très loin. Au retour néanmoins, alors que les conditions semblaient exactement les mêmes, les côtes restaient invisibles pendant plusieurs heures. Outre l’insécurité potentielle que cela génère, c’est surtout une sensation d’aventure qui domine. Moi qui ai lu ces ouvrages sur la mer, de Bougainville à Bombard, en passant par Jules Verne et l’incroyable récit de Magellan par Stefan Zweig, je réalise mieux au milieu de cette étendue d’eau de l’aventure, du danger, de l’isolement et du potentiel qu’on toujours représenté les mers.

Un ordinateur de bord nous permet de localiser les bateaux équipés de l’AIS (Automatic Identification System). C’est une bonne aide pour estimer les distances et les trajectoires.

Le monde de l’infini

Avant d’y aller, je pensais profiter de plein de temps libre pour faire tout un tas de trucs (surtout de la lecture). Mais en vérité, naviguer est une activité qui a pris toute mon attention. Avec mon père et mon frère on s’est relayé, ce qui est très utile, mais malgré tout, ce que j’ai fait le plus clair de mon temps c’est regarder la mer ! Il n’y a jamais assez de temps pour contempler tout ce bleu. Par ailleurs, comme ça bouge toujours, même sur mer très calme, il n’est pas toujours très agréable de faire autre chose. Le mal-dont-on-ne-dit-pas-le-nom guette à tout instant.

Ce que j’ai fait le plus clair de mon temps, c’est regarder la mer !

Concernant les animaux, on en a vu quelques uns (et pas que des sacs plastiques), en particulier : un dauphin, comme je l’ai dit, des tortues qui nagent en surface, des poissons-volants qui détalent à notre arrivée (en croyant qu’on ne les voit pas alors qu’au contraire on les voit mieux) – cet animal est remarquable, il vole longtemps ! un marsouin au loin, des gros poissons carnassiers du style thon ou espadon au loin qui sautent hors de l’eau en attrapant leur proie et bien sûr une grande quantité et variété d’oiseaux qu’on voit habilement piquer en vol pour attraper une proie.

De cette immensité on n’en voit que la surface. Dessous, le monde grouille, quasiment invisible à nos yeux.

Au passage de la frontière espagnole, nous installons le pavillon

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4 commentaires

  1. très belle expérience pour toi et pour ceux/celles qui te lisent, comme moi, par exemple. J’ai passé qq jours avec mon beau-frère et ma soeur sur leur bateau à moteur dans les îles dalmates et c’était très chouette, en effet.

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